mardi 30 avril 2024

Cession d'entreprise familiale : quels sont les voyants " à l'orange " à surveiller ?

Le dirigeant d'une PME ou PMI familiale qui souhaite céder son entreprise est souvent très seul et démuni face aux aléas, à la durée et à la complexité du processus de cession transmission d'une entreprise. Il y a de nombreuses particularités de son entreprise qui sont considérées par les repreneurs comme des points sensibles assimilables à des voyants à l'orange. Décryptage de Jean-Yves LESTRADE à partir d'exemples vécus.

Aucune préparation et anticipation


Il faut plusieurs années pour préparer la cession d'une entreprise. Il faut identifier en amont les points de friction possibles pour tout repreneur. Pas d'échappatoire. Il faut mettre le moment venu les cartes sur la table et jouer la transparence. Souvent le cédant ne percute sur ces aspects que lorsqu'il a compris que la cession des parts sociales de son  entreprise sera assortie d'une garantie d'actif passif. A ce stade amont du processus, je conseille au cédant de demander à son expert-comptable d'établir un diagnostic ou audit de cession assorti d'observations sur les points qu'il faut traiter (immobilier d'entreprise, passif social, passif environnemental, disponibilité des titres et passif juridique, provisions nécessaires, sortie de trésorerie excédentaire...).

L’entreprise est en perte

Le voyant passe au rouge dans une entreprise en perte et la probabilité statistique de vente diminue fortement. Quelles explications ? Quels arguments pour intéresser un repreneur ? Quelle valorisation ? De plus dans ces circonstances, une dette d'acquisition est très difficile à obtenir, sauf si le repreneur est du métier et peut apporter la preuve de sa capacité à obtenir des effets de synergies et économies.


Le dirigeant a déclenché sa retraite et ne se rémunère plus                                                                                                                 

C'est la situation classique du dirigeant qui n'a pas vendu avant de déclencher sa retraite. Le repreneur effectue un retraitement des comptes pour tenir compte d'une rémunération " normale " de dirigeant. Souvent, le compte de résultat est alors simplement équilibré, voire déficitaire. Quelle est la valeur d'une entreprise qui ne gagne pas d'argent ? Comment financer son acquisition ?

Le dirigeant dit « je veux bien vendre mais cela dépend à quelles conditions ? »                                                                                      

La quasi-totalité des chefs d’entreprises sont prêts à vendre leur société s'ils reçoivent une offre intéressante de reprise. Mais il y a généralement un long chemin parcourir avant d'obtenir une offre sérieuse de reprise, franchir les autres obstacles (audit d'acquisition, bouclage du plan de financement du repreneur, levée des conditions suspensives, ajustement du prix de vente...) et concrétiser la vente avec succès. Assez souvent l'envie de vendre est abandonnée quand le dirigeant prend conscience qu’il doit se découvrir et communiquer des informations confidentielles sur son entreprise pour permettre au repreneur de se positionner. Sauf exception, la cession d'une entreprise est réfléchie et il faut plusieurs années pour mûrir une décision de vendre. 


Il y a des risques non provisionnés                                           

L’audit d’acquisition ne peut pas passer à côté des points sensibles de l’entreprise. Au mieux, ces aspects négatifs impactent le niveau de la garantie d’actif passif. Au pire, ils suscitent de la méfiance, peuvent remettre tout en question et conduire le repreneur à abandonner les négociations. 


Le cédant n'a pas de tableau de bord                              

Le tableau de bord de pilotage de l'activité (suivi des marges, carnet de commandes, suivi des flux de trésorerie, gestion des risques, gestion des impayés et relances clients...) est un élément très important dans le processus de négociations avec les repreneurs. Il faut présenter des indicateurs et des données chiffrées, claires, réalistes et étayées. Ces indicateurs permettent de négocier les conditions de la reprise. Ils sont également essentiels pour les banques qui étudient le financement de l'opération d'acquisition du repreneur. 


L’entreprise est dirigée par un couple de dirigeants ou plusieurs membres d’une même famille

C’est un schéma classique dans les TPE et PMI familiales. Cette situation sous-entend beaucoup « d’intuitu personae » dans l’entreprise à reprendre, cad une grande dépendance de l’entreprise des cédants, principale difficulté de tout repreneur. La présence d'autres membres de la famille dans l'entreprise peut également poser problème au repreneur s'ils veulent rester, ce qui n'est pas toujours souhaitable s'ils occupent des postes à responsabilité.


Le cédant fait un blocage sur un prix psychologique de vente

Il est très fréquent qu'une entreprise ne se vende pas pour une question de prix. Nombreux sont les dirigeants qui, faute de préparation, manquent pour cette question une opportunité de vendre qui ne se représentera plus. Il y a toujours une valeur de marché pour une société. On ne peut la connaître qu’en étant dans une démarche dynamique d’échanges et de négociations avec des repreneurs potentiels. Ce processus peut s'étaler sur des années. La valorisation va fluctuer au gré de l’évolution de l’entreprise, activité, résultats, trésorerie, investissements, rémunération dirigeant, politique de distribution de dividendes… La valeur des entreprises est aussi impactée aujourd'hui à la baisse par le fait qu'il y a, pour les repreneurs, de belles opportunités d'entreprises en difficulté à reprendre à la barre des tribunaux. Il arrive que le cédant préfère au fond de lui-même ne pas vendre plutôt que d’accepter, selon son expression, de " brader son entreprise ". La vente d'une société familiale est souvent autant une question de psychologie que de chiffres.  


Le dirigeant est imprévisible et a une forte personnalité 

Diriger une entreprise n'a jamais été un long fleuve tranquille. Tous les dirigeants de sociétés, petites moyennes ou grandes, le vivent au quotidien et ont une forte personnalité. C’est grâce à ce tempérament de décideur et d'entrepreneur qu’ils ont réussi. L’inconvénient, c’est parfois un manque d’humilité des chefs d'entreprises qui doivent se remettre en question et comprendre les questions et interrogations de repreneurs.


Le résultat est insuffisant pour supporter le remboursement d’un emprunt d’acquisition

Une entreprise à acquérir se finance quasiment toujours par une dette d’acquisition. Sans rentabilité et sans résultat, elle entre dans une sorte de No man’s land car elle n’est pas finançable ou sa valorisation demeure symbolique.


Le cédant veut se débrouiller tout seul pour vendre son entreprise

La cession d’une société est encore plus compliquée sans l’aide de professionnels, cabinets spécialisés en transmission d’entreprise, avocats, experts comptables, conseillers financiers… Ces spécialistes mettent tout en œuvre pour rendre possible et concrétiser l’opération avec succès. Ils permettent au cédant d'aller vers l'action, trouver le recul nécessaire, être en confiance. Ils ont une obligation de valeur ajoutée et de résultat. Vouloir s’en passer pour faire des économies n’est pas une bonne idée. Les entreprises à vendre qui sont accompagnées par des professionnels de la cession ont une probabilité statistique de vente nettement plus élevée et obtiennent généralement une offre de reprise plus importante.  


Le cédant augmente le loyer avant la mise en vente de l'entreprise

L'acquisition  de la société passe par un emprunt à moyen terme dont le remboursement va réduire la marge de manœuvre du repreneur en pesant sur les résultats. Le poste immobilier, qui concerne le loyer versé à la SCI du dirigeant, n'est jamais anodin dans la négociation et le fait de l'augmenter avant la mise en vente peut constituer un point de blocage pour le repreneur.


Le besoin en fonds de roulement n’est pas maîtrisé

Il faut être particulièrement attentif à l'évolution de la trésorerie et aux fluctuations des besoins en fonds de roulement de l'entreprise. Le raisonnement des banques portent sur la globalité du financement du projet avec, au-delà du crédit d'acquisition, les crédits d'investissements et de fonctionnement bien adaptés à l'entreprise. 


Le bilan est déficitaire ; pour masquer cette situation, le dirigeant décide de prolonger l’exercice sur 18 mois

Cette décision s'apparente à un " habillage de bilan ". Elle complique la bonne compréhension et lisibilité des comptes de l’entreprise. Faute d'explications claires et convaincantes, elle conduit souvent le repreneur potentiel à abandonner l’étude du dossier. 


L’immobilier fait partie des actifs de l’entreprise

Il est toujours préférable que les actifs immobiliers soient séparés des actifs d’exploitation dans une société distincte. La question de la valeur des actifs immobiliers d’une entreprise à vendre est compliquée car ils ne sont pas productifs d’un loyer. Il ne faut pas oublier que les bâtiments n'ont de valeur que si une entreprise les utilise.


Le cédant " ne donne pas envie " et des salariés quittent l’entreprise

Bien-sûr que la passion et l'implication du dirigeant dans son entreprise peut s'éroder au fil des années. Mais le cédant doit être crédible et convaincant avec les repreneurs potentiels, rester optimiste, mettre en avant les points forts de son entreprise et les pistes de développement. Il doit aussi veiller, dans une période d'interrogations et d'incertitudes, au climat de travail et à ses relations avec le personnel de l'entreprise. Quand on visite une entreprise, on sent l'ambiance de travail. Il faut éviter le départ de salariés qui peut dissuader les repreneurs de poursuivre les négociations.


Le dirigeant est " mollement " réactif

Les contacts, les rencontres, les échanges, les négociations concernant la cession d'une entreprise exigent de la réactivité. Il faut toujours répondre rapidement aux questions posées. La sincérité et la transparence sont les règles de base. On élude pas les points de fragilité. Le cédant fait son maximum dans cet exercice et il a compris que le manque de réactivité dans toutes les étapes du processus de vente peut condamner tous les acquis.


Aucune entreprise n'est impossible à vendre


Pas de découragement pour le cédant qui coche plusieurs cases avec " voyants à l'orange ". Cette situation est très courante dans les entreprises familiales à reprendre. Par ailleurs, selon le profil des repreneurs, les points de faiblesses peuvent parfaitement être perçus comme des points plutôt intéressants. Toutes les entreprises ont des atouts à faire valoir. Mais dans tous les cas, le cédant doit anticiper, être animé d'une motivation et d'une volonté absolue de vendre, s'armer de patience et surtout se faire aider pour réussir à vendre son entreprise.

 Jean-Yves LESTRADE, Associé de FRANCESSION                                                                                 Tél : 06 08 31 68 86  Email : jylestrade@wanadoo.fr
















 
 
 
 
 

  



mardi 2 avril 2024

Comment se faire une idée de la valeur de marché d'une société ?

La valorisation d'une entreprise est un sujet sans fin. Ce qui importe, quand on vend sa société, c'est le prix payé par l'acquéreur au closing, cad à la signature des actes de cession. Décryptage.


 
Intermédiaire spécialisé en transmission d’entreprise, je suis interrogé au quotidien sur la valorisation d’une entreprise à vendre. Ma position est la suivante. Mon rôle dans la mission qui m’est confiée ne porte pas sur ce sujet. Ce n'est pas l'intermédiaire spécialisé en transmission d'entreprises qui fixe le prix. Celui-ci résulte d'un examen attentif des caractéristiques de la société, des données comptables et de leur évolution, du marché pour ce type d'entreprise, des possibilités de financement et enfin des souhaits du cédant. Mon travail  consiste à trouver des repreneurs qui font une offre sérieuse, écrite et financée. Mon rôle est naturellement aussi d’aider à surmonter tous les obstacles d’une négociation jusqu’au closing. 

La mission qui m’est confiée est une sorte de contrat de confiance mutuelle entre le cédant et moi-même. Mon travail n’est engagé qu’après plusieurs rencontres avec le cédant. Il faut être en confiance et avoir envie de travailler ensemble. Ma valeur ajoutée est proportionnelle à ma connaissance fine de l’entreprise ainsi que de la personnalité, des motivations et des attentes de son dirigeant. Je veux aussi m’assurer qu’il n’y a pas de non-dits, que le dirigeant est capable d’accepter des concessions et qu’il ne fait pas de blocage sur un seuil psychologique du prix de vente. C’est la raison principale d’échec des ventes d’entreprises.   

Pour connaître la valeur de marché d’une entreprise (cad la valeur au closing ou à la signature des actes de cessions), on ne peut pas faire l’économie d’un travail de recherche de repreneurs avec l’objectif d’obtenir une ou plusieurs offres de reprise formalisées dans une lettre d’intention appelée LOI (Letter Of Intent). La valeur de l’entreprise à ce stade peut encore fluctuer jusqu’à la signature des actes en fonction de certains paramètres, notamment après la réalisation des audits d’acquisitions ou « due diligences ». Avec l’aide des professionnels (experts-comptables, avocats/notaires, consultants spécialisés…), les deux parties devront encore préciser et négocier des points particuliers pour arriver à la signature de l’opération.

Davantage une question de psychologie que de chiffres

 Je demande au cédant de se mettre à la place du repreneur : seriez-vous capable de financer aujourd'hui la reprise de votre entreprise aux conditions que vous attendez ? Accepter de supporter une dette d'acquisition " non productive " ? Mobiliser une grande partie de votre épargne pour constituer votre apport personnel ? Donner votre caution aux banques et mettre en gage votre patrimoine personnel ?
Dans la pratique de mon métier et mon travail d’observation du marché au quotidien, je déplore souvent la disparation d’entreprises à vendre pour des raisons de valorisation jugée insuffisante par le cédant. Il n’est pas rare que les dirigeants se résignent à la disparation de leur société plutôt qu’à la mise en vente de leur entreprise dans un processus qui implique des concessions, des incertitudes et surtout une remise en question personnelle. La cession d’une société est souvent davantage une question de psychologie que de chiffres.


Cas d’école d’une société à vendre


Même si je ne donne pas de valorisation au cédant, je suis capable de m’en faire une idée, par l’exercice de mon activité depuis 12 ans et mon vécu de la réalité du prix des entreprises au closing. J’ai aussi travaillé quelques années dans la banque d’entreprise après ma formation en école supérieure de commerce avec option finances. Je vous livre ma grille pour me faire en quelques minutes une idée du prix de marché d'une entreprise à vendre.  


Chiffre d’affaires de l'entreprise à vendre
3 000 000
Excédent brut d’exploitation
200 000
Amortissement
50 000
Résultat net avant impôts
150 000
Résultat net
100 000
Capacité d’autofinancement
150 000
Capitaux propres
700 000
Dettes financières
200 000
Trésorerie
500 000


Plusieurs méthodes d'approche du prix de cession



Valorisation 1
Valorisation 2
Multiple EBE
Valorisation 3
Valorisation finançable avec apport de 20 % du repreneur
Valorisation 4
Multiple de CAF
Moyenne des 4 méthodes
Capitaux
propres
4 fois EBE + trésorerie nette (80 % de trésorerie – dettes financières)
- Emprunt : (50 % de CAF) sur 6 ans
- Sortie de toute la trésorerie nette
- Apport 20 % du repreneur = 200 000
6 X (80 % de la CAF) + trésorerie nette
700 000
4 X 200 000 + (80 % de 500 000) – 200 000 =             1 000 000
75 000 X 6 = 450 000
+ 300 000
+ 200 000 =
950 000
6 X 104 000 + 300 000 = 924 000
(700 000 + 1 000 000 + 950 000 + 924 000)/4 = 893 000

Mon approche personnelle, aussi simple et pragmatique que possible, privilégie la valorisation finançable de l'entreprise. Je considère qu'il faut s'en remettre à la BPI et aux banques qui sont le juge de paix sur ce sujet. 

Pour estimer le montant de la dette d'acquisition, j'utilise aussi la méthode établie sur la base de 2/3 du résultat net sur 6 ans. La valorisation s'établit comme suit :  (2/3 de 100 000) X 6 + 300 000 (trésorerie nette) + 200 000 (apport du repreneur) = 900 000, montant quasiment identique à la moyenne des précédentes méthodes.


Le prix qu’un repreneur est prêt à proposer et capable de financer 

 

D'expérience, dans la majorité des cessions concernant des PME et PMI familiales opérant dans des activités traditionnelles (industrie, services, BTP et second œuvre, négoce distribution), le résultat de ces moyennes se confirme - au closing (après négociation finale, audit acquisition, obtention du financement) - à plus ou moins 10 %. Les différents paramètres doivent naturellement être affinés pour prendre en compte les moyennes ou données " normatives " et le retraitement de certains postes, notamment celui de la rémunération du dirigeant, surtout lorsqu’il ne se rémunère pas. Pour la trésorerie, il importe de situer les disponibilités réellement excédentaires, cad celles qui ne sont pas nécessaires pour faire face au Besoin en Fonds de Roulement. Il faut prévoir autrement la mise en place de crédits de fonctionnement (découvert, mobilisation de créances...) pour faire face aux fluctuations de la trésorerie. Le cédant, qui est peu aguerri et désarçonné par le processus de vente d'une entreprise, est rarement en phase avec ces calculs et raisonnements financiers. Je peux le comprendre en me mettant à sa place et j'essaye d'aborder ce sujet avec pédagogie. Je connais aussi la pertinence de cette citation de Marguerite Yourcenar " c'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt ".

Je conseille au cédant à la fois de se familiariser avec ces équations financières (on ne peut pas y échapper) et aussi de les relativiser. Dans toute entreprise, le capital humain sera toujours plus important que le capital financier. La relation mutuelle de confiance entre le cédant et son repreneur est la base de la réussite d'une transmission d'entreprise et, dans tous les cas, la seule valorisation de société qui fait sens est le prix qu’un repreneur sérieux est prêt à proposer et capable de financer.  

Jean-Yves LESTRADE, Associé de FRANCESSION (réseau de 16 cabinets de fusions acquisitions)  Tél : 06 08 31 68 86   Email : jylestrade@wanadoo.fr